Réalisé vers l’an 800 de notre ère, le livre de Kells – qui dépeint les 4 évangiles du Nouveau Testament – est sans aucun doute l’œuvre majeure de l’enluminure insulaire et l’un des plus remarquables vestiges de l’art religieux médiéval.

Le livre de Kells ou l’histoire mouvementée d’un manuscrit exceptionnel

Cet ouvrage magnifique dont le commanditaire demeure inconnu, aurait été réalisé par des moines du monastère de Iona, sur une petite île au sud-ouest de l’Écosse (mais il existe d’autres hypothèses).

Les invasions Viking dont l’objectif premier consistait au pillage des villages et des monastères précipitèrent très probablement la décision des moines de quitter l’île, et de se rendre en Irlande (au sein de l’abbaye qu’ils fonderont à Kells) pour protéger le « Livre » (alors inachevé), qui vous l’aurez compris, lui donnera son nom.

Les annales d’Ulster (qui consignent l’histoire médiévale irlandaise) relatent que le livre de Kells (désigné comme « l’objet le plus précieux dans le monde occidental ») fut dérobé vers 1007 puis retrouvé quelques temps plus tard, … enterré dans un fossé !

Étonnamment, l’ouvrage est intact, mais « allégé » de sa précieuse couverture incrustée d’or et de pierres précieuses (ce qui vient naturellement éclairer le motif du forfait).

Le manuscrit demeure au monastère jusqu’en 1654, date à laquelle un nouveau problème survient : Oliver Cromwell.

Livre de Kells - "Chi-Rho"

Livre de Kells. Monogramme du Christ dans la page dite du « Chi-Rho », qui ouvre l’évangile de Saint Mathieu.

Incipit de l'évangile de Saint-Jean. Folio n°292 du livre de Kells

Incipit de l’évangile de Saint-Jean (folio n°292)

Cromwell est un militaire britannique protestant qui débarque en Irlande en 1649 dans un contexte de guerre civile (à l’origine « la Guerre des 3 Royaumes »). Les guerres confédérées irlandaises rassemblent les Royaumes d’Écosse, et d’Irlande qui souhaitent s’émanciper du Royaume d’Angleterre.

Cromwell se donne pour mission d’incarner l’opposition au Roi Charles Ier. Il y parvient et finit par faire traduire le roi devant une cour extraordinaire qui condamne le souverain à mort.

Oliver Cromwell, fort de cette réussite politique qui le propulse au rang de symbole, entame une série de batailles et de sièges tout droit dirigés contre les catholiques irlandais. Le résultat est un massacre : la population Irlandaise est divisé par 2,4. L’hégémonie britannique s’impose. De nouveaux colons investissent les lieux et une oppression religieuse & politique s’installe, conduisant le peuple irlandais dans une misère et une famine historiquement célèbres.

Dans ce contexte, les moines de Kells envoient le précieux évangéliaire à Dublin où Il est présenté en 1661 à Trinity College, qui demande alors la permission de le conserver. Le Livre de Kells est depuis cette époque conservé à l’université de Dublin (la plus ancienne université d’Irlande) où il fut exposé au tout début du 19e siècle.

Que contient le livre de Kells ?

Réponse : les quatre évangiles (la première et principale source d’information sur la vie et le ministère de Jésus) et une profusion d’enluminures remarquables !

L’iconographie de la littérature chrétienne représente bien souvent les évangélistes (Mathieu, Marc, Luc et Jean). Le Livre de Kells n’échappe pas à la règle, mais leur représentation graphique s’inscrit dans la symbolique dite des « Tétramorphes », c’est à dire sous la forme figurative inspirée par la vision de Saint-Jean, qui trouve son origine dans celle d’Ezéchiel (prophète de l’Ancien Testament). Elle illustre à la fois les qualités que l’on attribue au Christ, et l’articulation rédactionnelle des évangélistes.

Livre de Kells – Tétramorphe : L’homme (Saint Mathieu)

Saint Matthieu

Matthieu fut le premier des apôtres : « En passant, il aperçut Lévi, fils d’Alphée, assis au bureau des impôts. Il lui dit : « Suis-moi. » L’homme se leva et le suivit » (Evangile de Jésus-Christ selon saint Marc – Chapitre 2 – Verset 14).

Considéré comme l’auteur du tout premier évangile (qu’il entame avec la généalogie de Jésus), Matthieu (ou Lévi) apparaît dans le livre de Kells sous la forme d’un homme. Il symbolise l’humanité de Jésus (sa naissance et son incarnation).

Saint Marc

L’un des premiers versets de l’évangile de Marc dépeint un environnement désertique. À cette époque, le lion était encore présent en Palestine, et tout particulièrement près du fleuve Jourdain, où Jésus fût baptisé par Jean.

Marc dans sa figure du lion est l’illustration de la force. Dans la Bible, le lion évoque le messie (Ap 5,5 : « Le lion de la tribu de Juda, le descendant du roi David, a remporté la victoire »). Dans le livre de Kells, toutes les représentations des évangélistes possèdent des ailes et une auréole (symbolisant respectivement l’élévation spirituelle et la sainteté).

Livre de Kells – Tétramorphe : Le Lion (Saint Marc)
Livre de Kells – Tétramorphe : Le taureau (Saint Luc)

Saint Luc

Luc débute son évangile dans le temple avec l’annonce de l’ange Gabriel à Zacharie puis à Marie (l’annonciation). C’est aussi dans le temple que l’on sacrifiait (en offrande) des taureaux à Dieu.

Il existe d’autres explications, mais je retiendrai celle-ci : l’illustration de sa puissance de travail. Figuré ainsi, Luc représente à la fois le sacrifice offert à Dieu par le Christ, et son implication dans la rédaction de l’évangile et dans celle des Actes des Apôtres.

Saint Jean

Si Jean prend le symbole de l’aigle, c’est vraisemblablement dû à la hauteur de l’analyse dont il fait preuve dans la rédaction même de son évangile. Il apparaît en effet très clairement que l’évangile de Jean est différent des trois autres.

De nombreux passages des évangiles de Matthieu, Marc et Luc, se recoupent dans les thèmes abordés et épisodes communs. Mais Jean n’aborde pas la nativité ni la généalogie du Christ. On ne trouve pas non plus de récit de la tentation de Jésus ou de son baptême. Jean s’attache à montrer l’identité de Jésus et souligne le fait qu’il est bien plus qu’un simple prophète.

Livre de Kells – Tétramorphe : L’aigle (Saint Jean)

Qui a réalisé ces enluminures ?

L’examen de cette œuvre par les plus éminents spécialistes de leur domaine révèle au moins trois artistes (maîtres-enlumineurs) : un orfèvre (auteur des pages d’ouverture des évangiles), un illustrateur et un portraitiste. Ils n’étaient sans aucun doute pas les seuls à contribuer à cette magistrale réalisation. On a même émis l’hypothèse que les 9 apôtres figurés à gauche du folio 202, illustrant la tentation du Christ par Satan (ci-contre) sont en réalité les auteurs du livre !

Ce qui est éminemment remarquable dans le livre de Kells, c’est la précision et la finesse des traits qui composent ses différentes enluminures. Certaines pages comportent des détails quasi invisibles à l’œil nu. Pourtant, l’invention de la loupe n’apparaît pas avant le XIIIème siècle (les verres grossissants de Roger Bacon). Les auteurs de cet ouvrage devaient donc posséder une excellente vue !

La réalisation du livre de Kells (680 pages), nécessitera près de 30 ans. Il restera (sans doute pour longtemps) de nombreuses questions à résoudre sur les mystères de son exécution.

La tentation du Christ par Satan (folio 202 du livre de Kells).
02 décembre, 2022 — Partial.ly

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